Quarante huit heures en Pays de révolte Comité Régional contrela Fédération de rugby
Ce que l’on dit de » l’affaire » à Carcassonne, Lézignan, Perpignan et Quillan
(L’HEBDOMADAIRE MATCH 1930 de notre envoyé spécial Jean de LASCOUMETTES.)
Perpignan.
Enfin, que se passe-t-il donc dans ce Languedoc qui, jadis, et j’en parle en connaissance de cause, rassembla sur son sol parce que l’on avait pris à la lettre les mots d’ordinaire inoffensifs des discours publics toute la cavalerie méridionale ?
Aujourd’hui c’est le sport qui est prétexte à émotions. C’est à propos de sport que ces villes et ces villages si pittoresques, si gais, si heureux de vivre se regardent en chiens de faïence.
Et l’on pourrait se demander, ma foi, si l’on en croyait tous les bruits qui courent, pourquoi ils ne s’arment pas. On est, dans ce pays béni des dieux, chevaleresque et combattif. Riche d’un passé glorieux, chaque cité est fière de son château fort démantelé. On pourrait s’attendre à voir les tours relevées, des mitrailleuses aux créneaux, des gaz asphyxiants dégoulinant des mâchicoulis reconstitués en ciment armé. En réalité, à propos de rugby, une lutte fratricide se déchaînerait. Il faut dire que les communiqués sont rédigés à Paris, loin des balles. Et nous savons tous la valeur des communiqués. Passons.
Correspondant de guerre, mais assuré que dans les deux camps ; au fond, y a-t-il deux camps ou six ou huit ? je ne courrais point le risque d’être fusillé sommairement, je suis parti à la recherche des conflits et à la découverte des champs de bataille. Le front est heureusement de peu d’étendue et les trains ou les autos passent les lignes sans la moindre difficulté.
Je crois que nous parlons beaucoup plus à Paris du rugby languedocien qu’en Languedoc. Je crois surtout que nous prenons avec un sérieux grave ce qui au pays du soleil est pris avec le sérieux du cru. Je m’attendais dès Orsay à n’entendre parler que ballon. A d’autres Au petit jour, dans le train qui m’emmenait vers de hasardeuses destinées, mon réveil fut tel que le rêvait Montaigne. Un merle siffleur se trouvait dans le compartiment voisin. Son répertoire était mesquin et archaïque. Il sifflotait une vieille java. Des heures durant j’ai subi « J’en ai marre ». Je n’ai jamais aussi bien communié avec un compositeur. Mais bientôt le merle fut rejoint par un autre oiseau. Je reconnus celui-ci. Par contre-coup, je connus l’autre et les autres. J’étais tombé sur un wagon de députés se rendant dans leurs départements à l’occasion des élections sénatoriales. En vain ai-je essayé de saisir, tombant de ces bouches écoutées, quelque chose qui intéressât le sportif. Mais il n’était question que de politique. Et c’est là un sport non encore fédéré.
Mais voici Carcassonne. Durant que nous nous énervions à Paris sur les destinées sportives du Languedoc, un soleil estival allumait des flammes gratuites aux remparts de la Cité. La pluie est venue avec moi. C’est samedi, jour de marché. Sur la place carrée, quelques paniers de céleris ou de carottes, quelques oies venues ahuries de Toulouse et surtout des gens ne paraissant pas outrageusement préoccupés, venus pour vendre leur vin si l’occasion se présentait.
Une rue barrée par les tables d’un café qui va tenir lieu de bourse. Nous sommes vraiment au cœur de la révolution, sinon à la tête. Et, de fait, pour ne point prendre le taureau par les cornes, pour me faire parler rugby, j’interroge politique. Ah! ouiche. J’ai bien repéré un calicot qui, recouvrant provisoirement la publicité d’un apéritif, dénonce le siège d’un comité sénatorialement électoral. Mais l’on se moque bien de la politique ! Je tombe pourtant sur un bec. On vit ici dans l’expectative. On n’est pas encore fixé sur les conséquences de décisions qui tiendront ou ne tiendront pas. On discute les articles parus la veille dans les journaux locaux. Mais on attend des confirmations. Bon. Je vous reverrai demain, Carcassonnais.
Et me voici parti pour Quillan, dans la voiture de l’ami Couget. L’U.S. Quillanaise, avant que la Fédération prît les choses en main, était vraiment la victime de toutes les mesures arrêtées dans sa région. A Quillan j’allais avoir de sensationnels tuyaux.
Quillan est charmant, à l’abri de ses montagnes « las Tres Quillas de Quilla », dans cette charmante vallée de l’Aude, au pied de cet ancien château féodal sur les murailles duquel sont encore fixés les squelettes des feux d’artifice du 14 juillet. Les usines Jean Bourrel constituent une deuxième et moderne ville à côté de la vieille cité aux rues torturées. Au moment où j’y arrive, tout monde travaille. Dans la vaste entreprise, chacun a pris sa place habituelle. Je serais bien embarrassé pour identifier un joueur de l’équipe première de Quillan dans ce groupe de chauffeurs ou de façonniers. Un seul ne m’évitera pas, Ribère; parce que j’entre sans le savoir dans le bureau où il travaille. J’ai dépassé sur la route un sulky sur lequel était juché un lad de l’écurie Bourrel. Je ne crois pas que ce fût un joueur de l’équipe.
Dans un café dont la salle supérieure, de frais repeinte, est ornée de palmes, de photos et de souvenirs glorieux et déjà anciens de la jeune équipe quillanaise, j’obtiens déjà une opinion. Je veux croire que là bat le cœur de Quillan.
« Monsieur, me dit mon interlocuteur, nous ne savons pas, nous ne voulons pas savoir ce qui nous arrive, ou du moins les raisons de ces événements. Nos équipes sont composées de gars charmants, de jeunes athlètes sportifs. Nous n’avons jamais considéré une victoire comme le but principal. Battus, nous n’avons récriminé. Vainqueurs, nous avons été sans insolence. Et nous ne saurions en vouloir, en toute sincérité, à ceux qui nous jouent le tour que vous savez. Nous ne sommes pas visés, si ça retombe sur nous. Il y a lutte Comité du Languedoc-Fédération. Nous en pâtissons seulement. »
« Et si je vous disais, poursuit mon interlocuteur indigné, combien il est malvenu de nous reprocher des manquements à l’amateurisme ! Le hasard a voulu que jadis je serve les intérêts de tel ou tel joueur sous une autre latitude que celle de Quillan, et je vous assure que la F.F.R. aurait eu un droit et un devoir de regard !
L’on me dit la même chose à l’usine de Jean Bourrel, qui emploie un nombre considérable d’ouvriers ou de chefs de service parmi lesquels on a recruté les équipes première, seconde et troisième de l’U.S.Q. Pas de faveurs spéciales. Un patron sportif. Une sympathie établie entre le patron, ami du sport, et ses subordonnés qui le pratiquent. C’est tout.
« Nous sommes absolument étrangers à tout ce qui se passe. Le scindement, excusez ce
néologisme barbare du Comité du Langue doc n’a jamais été réclamé par nous. Nous trouvions du charme au statu quo. Mais cette innovation n’est pas pour nous déplaire. Dans le Languedoc, l’Aude possède le plus grand nombre de clubs importants. Le département pourrait vivre seul, d’autant mieux que certaines de ses équipes réalisent les recettes maxima, surtout en déplacement.
<< Par contre, le Roussillon se trouverait de ce fait lésé. Et les Arlequins de Perpignan subiraient le même sort que nous, celui de boucs émissaires. Nous ne demandons qu’à vivre le plus amicalement du monde avec nos voisin: les Lézignannais, dont nous aurions pu nous plaindre mais envers qui nous ne nourrissons aucune rancune, la rancune sportive est brève.
Veulent-ils faire la paix? Nos bras leur sont ouverts. Nous sommes avant tout sportifs. Pour l’instant nous ne savons que faire. Nous avons deux maîtres. La Fédération et le Comité donnent des ordres contradictoires. Nous allons donc nous reposer, mais vraiment combien il devient compliqué de faire du sport pour son plaisir ! »
Quillan est une petite ville aimée des sportifs, mais peu favorisée par ceux, si l’on peut dire, de la compagnie ferroviaire du Midi Quand je pris congé de l’U.S.Q., le dernier train à destination de Perpignan était parti. Et pourtant il faut que j’aille à Perpignan. Je ferai donc le tour par Carcassonne et Narbonne.
Ce n’est pas seulement à Quillan que fleurit l’industrie du chapeau. En de vieux châteaux se sont installées des manufactures. Voici Esperaza. Fin de journée. Mon compartiment est envahi par d’accortes ouvrières du pays, qui s’en retournent vers Limoux. Elles ont des prunelles brillantes comme la blanquette pétillante. Elles ont du soleil plein le cœur et des voix chantantes. Elles crient leurs secrets. Je sais tout de suite que l’une se marie prochainement, que l’autre aime le cinéma, etc. Charmant pépiage. Tout d’un coup la conversation bifurque, on évoque l’affaire du football (car ici on dit football pour rugby). Quillan jouera- t-il ? Et Lézignan ? Qui l’emportera, de Paris ou de Narbonne ? Cette préoccupation plane sur toute cette jeune insouciance. Les élections sénatoriales « au fait il y en a ce qu’on peut s’en fiche » ! Tandis que le rugby…. Ah! il eût été bien tentant de se présenter comme un as de ce sport!
Il fait nuit. J’arrive à Carcassonne. Entre Carcassonne et Narbonne le contrôleur parle rugby avec un voyageur qui pourrait bien lui refiler un faux billet. J’ai su qu’à Narbonne précisément se tenait une réunion très importante du Comité du Languedoc. Me voici au café des 89 Départements, qui vient de faire remettre sa devanture à la page, car autrefois il n’en comptait que 86.
Un groupe occupe au centre de la salle deux tables. On y discute avec animation. Quelqu’un émet cette suggestion: « Si nous formions nos équipes? » Je suis tout ouïe. Hélas ! il ne s’agissait que de belotte ou de manille. Cependant là-haut, au deuxième étage, l’on travaille. Il est minuit et les représentants de la presse attendent encore devant un bock leur communiqué. Mais voici Laborde, Marcel Laborde, qui descend en compagnie de Vitalis, d’autres officiels, d’avocats, de citoyens qui s’intéressent sans doute au sport mais n’y prennent pas une part active. Il a des dossiers en main. Ses yeux brillent gaiement sous les lunettes. Il y a eu sans doute du travail accompli. J’apprends entre autres choses que Lézignan jouera demain contre Thuir. C’est un ordre du Comité du Languedoc que la F.F.R. veut considérer comme défunt. Le match aura lieu.
Et précisément arrivent les premières éditions d’un journal régional. On y lit une déclaration de la F.F.R. qui interdit. la rencontre en question. Les hostilités sont ouvertes. Et me voici parti en voiture vers Perpignan, en compagnie de Marcel Laborde. J’essaie de faire. revivre d’anciens souvenirs communs du Quartier Latin. N’insistons pas. Laborde pense à autre chose. Il vient de se dépenser en paroles et en gestes. Depuis plusieurs jours, il ignore la joie des couchers honnêtes ou bourgeois. A trois heures du matin, éreinté, il peut enfin prendre quelque repos; à trois heures cette nuit nous ne serons pas encore couchés. Soudain, sur un point de la belle route qui nous mène de Narbonne au long des étangs marins, Marcel Laborde fixe une frontière idéale : « C’est ici que nous entrons dans le nouveau Comité selon la F.F.R. » A ce propos on me conte que le Bureau de la Fédération, ignorant la géographie, a précisément donné le nom du Comité du Roussillon à la partie du Languedoc qui n’englobe pas cette province. « Tu vois, me dit Laborde, jusqu’à quel point sévit le racolage ! Après nous avoir pris nos joueurs, on nous prend jusqu’à notre pays ! ».
Perpignan ne se couche point tôt. Nous y débarquons peu avant que le soleil revienne. A la Loge, des amis attendent le retour du vice- président du Comité du Languedoc. Et tout le monde d’être satisfait, puisque à Narbonne les membres du Comité « démissionné » ont à l’unanimité affirmé leur volonté de vivre et de continuer. Quelles ont été les décisions prises ? Elles n’ont rien de subversif dans la forme, au fond… Et pourtant Machiavel !… L’une porte: « Le Comité du Languedoc se réunira comme à l’ordinaire mercredi prochain. S’il devait par la suite être procédé à de nouvelles élections, il aviserait lui-même les sociétés de son ressort ».
Ça n’a pas l’air de rien? Grosse erreur ! La F.F.R. n’a-t-elle pas ordonné de nouvelles élections pour la formation des bureaux nouveaux des deux comités qu’elle veut instaurer ? Le communiqué n’est-il pas l’affirmation que la parole fédérale est considérée comme nulle et non avenue ? Quant à la fameuse commission d’enquête instituée au sein du Comité pour juger des affaires à l’ordre du jour, elle s’est également réunie ce même soir. Elle comptait Mes Malet et Pech de Laclauze, MM. Marmayou, Guy, Vitalis et Laborde. Elle a pris connaissance de la motion d’accusation, entendu un premier exposé des faits, discuté de la meilleure procédure à suivre, et décidé de continuer ses travaux jusqu’à conclusion. Et elle se réunira de nouveau la semaine prochaine.
<< Nous tiendrons jusqu’au bout, me disent Laborde et ses amis. Nous sommes forts de notre droit. Si le mal que nous voulons combattre a gagné la racine, nous irons jusqu’à la racine. D’ailleurs la façon dont on riposte à nos attaques doit nous encourager dans la lutte. Cette décision de scinder notre Comité en deux n’a qu’un but: celui de réunir les clubs trop indé- pendants et de les retourner contre les hommes à qui ils faisaient confiance.
Un journal vient de sortir à Perpignan. Il s’appelle le Sport Enchaîné. Sa diffusion est énorme, en France et à l’étranger. Il comporte des articles enflammés de Bausil. N’a-t-il pas intitulé son leader « La Flamme » ? Et des appels à la justice vibrants, des réquisitoires ou des plaidoyers passionnés. Un journal qui doit donner mal de tête, comme un coup de soleil, à ceux qu’il attaque. Le Sport Enchaîné fait prime !
Dimanche, le ciel sur Perpignan est gris. Il s’est, lui aussi, vêtu en conspirateur. Mais les Catalans ont assez de flamme au cœur pour faire oublier que le soleil ne brille pas pour tout le monde. Du Castillet à la Loge, des groupes circulent ou stationnent. Inutile de chercher quel est le motif des conversations, le fait du jour. Le cireur lui-même a épousé une opinion et la défend. Non loin, les chefs discutent, et la mairie se prépare pour recevoir officiellemnt tout à l’heure le Stade Français envoyé dans le Tournoi des Six.
Nous quittons Perpignan. Par la campagne d’une extraordinaire richesse de coloris, par vignes vertes ou rubescentes veuves de raisin, nous descendons vers la plaine languedocienne. Lézignan, obéissant aux ordres du Comité, reçoit aujourd’hui Thuir qui a pris la place de Quillan. Ce sera une rencontre sans fièvre. Depuis qu’on a soulevé le lièvre de Quillan ou le lapin (voyez chapeau), l’affaire Lézignan est bien oubliée. D’ailleurs les Lézignanais ne demandent qu’à vivre en paix avec tout le monde. Ils ont assez expié des erreurs passées. Pourquoi ne passerait-on pas l’éponge, puisque les meilleures intentions maintenant les animent? C’est qu’elle représente une valeur morale, cette équipe rigoureusement, autochtone, sans apport étranger, d’une fidélité absolue à son drapeau et qui n’a fait qu’exagérer l’amour de la petite patrie.
En somme, si l’on voulait faire le départ des forces en présence et des groupements de tendance on trouverait Lézignan et Carcassonne avec Perpignan. Narbonne cherche le vent et Béziers garde une neutralité sage. Mais encore, puisque joue la loi du nombre, ce sont les petits clubs qui commandent, et le Roussillon forme un bloc inexpugnable. Au reste, y a-t-il vraiment dans cette histoire rivalités de clubs ? Les sociétés se sont-elles dressées les unes contre les autres par pure hargne je crois que l’affaire est plus simple, que l’origine est lointaine et qu’il faut ne voir là qu’un jeu d’hommes. L’accusation de professionnalisme portée contre Quillan a fait long feu. On aurait pu la formuler il y a longtemps avec les mêmes arguments ou le même manque d’arguments, comme l’on voudra. Ceci a été l’occasion
Jean de LASCOUMETTES.